Allumez le feu !

Forum PHP 2016, Paris, 27 et 28 octobre 2016

J’ai donné ma première conférence lors du forum PHP de 2009, mais je ne l’ai pas fait parce que je l’ai voulu, je l’ai fait par obligation.

Quelques semaines avant l’événement, mon patron de l’époque m’a dit qu’il pensait que la façon dont j’utilisais VIM pour développer en PHP pouvait intéresser d’autres personnes, et qu’en conséquence, j’allais faire une conférence à propos de VIM lors du prochain forum PHP.

J’avoue que sur le moment, je n’ai pas fait preuve d’un enthousiasme délirant, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, VIM est un éditeur de texte rustique, sans interface graphique, avec une courbe d’apprentissage très rude par rapport à la concurrence et sans aucun attrait à première vue.

De plus, je ne voyais pas du tout en quoi VIM pouvait intéresser des développeurs PHP disposant déjà à l’époque d’environnements de travail plus attrayants à première vue.

J’ajoute que je pensais ne pas avoir la légitimité pour le faire, car de mon point de vue, je ne faisais strictement rien d’extraordinaire avec VIM.

Et enfin, l’idée de parler en public ne m’attirait franchement pas plus que cela et me flanquait même une trouille bleue.

J’ai donc répondu à mon patron qu’il était dingue, mais pourtant, un jour de novembre 2009, je me suis retrouvé sur scène avec un micro entre les mains en train de présenter VIM à une une trentaine de personnes.

Évidemment, je n’ai pas eu de « standing ovation » à l’issue de ma conférence, mais en contrepartie, j’ai compris que même si nous pensons n’avoir rien d’intéressant à raconter, ce n’est jamais le cas.

En tant qu’être humain, je suis issu d’une lignée qui s’est construite de manière chaotique en fonction de contraintes environnementales et sociétales.

Génétiquement parlant, je suis donc unique.

De plus, même si je partage un grand nombre de caractéristiques physiques et psychologiques avec mes semblables, mes réactions ne sont pas forcément comparables aux leurs dans certains cas de figure.

la culture dans laquelle j’ai baigné depuis ma naissance,

l’éducation que j’ai reçu,

les personnes que j’ai rencontrées,

les livres que j’ai lus,

les films que j’ai regardé, bref, tout ce qui compose mon environnement, m’a fourni un ensemble de valeurs et de connaissances qui ont également une influence sur mes décisions.

En conséquence, si au quotidien, je fais la même chose que beaucoup d’entre vous, mon vécu est cependant différent du vôtre, tout comme la connaissance et les leçons que j’ai pu tirer de mes réussites ou de mes échecs, ces derniers étant d’ailleurs souvent les plus enrichissants.

Or, le partage du savoir est le moteur qui permet à l’Homme d’évoluer,

et ce partage se fait majoritairement oralement depuis l’aube de l’humanité.

L’écriture est aujourd’hui souvent perçue comme le premier vecteur de diffusion de la connaissance, mais cela n’a pas toujours été le cas, car il s’agit un art récent, apparu il y a environ 6000 ans.

En comparaison, notre espèce, l’homo sapiens, est apparue vers - 200 000 av. J.C, et elle est issue d’une évolution qui s’est déroulée sur plusieurs centaines de milliers d’années.

Or, les archéologues ont la preuve que nous nous rassemblions autour d’un feu pour écouter quelqu’un parler bien avant que le concept même de l’écriture ne soit imaginé.

Nous écoutons donc depuis bien plus longtemps que nous ne lisons, et outre le fait que cela implique que notre savoir s’est majoritairement transmis oralement, cela veut également dire que l’évolution nous a rendu très réceptifs à ce mode de communication.

Elle a en effet façonné notre cerveau de façon à ce que lorsque nous écoutons quelqu’un parler, notre imagination soit stimulée, nous éprouvions de l’empathie, et qu’une connexion se créée non seulement entre l’orateur et nous-mêmes, mais également entre nous et chacun de ceux qui compose l’auditoire, ce qui nous permet, à partir d’un certain stade et si l’orateur est habile, de réagir comme un organisme unique à la conscience partagée.

En ce moment même, sans que vous en ayez conscience, pendant que je vous parle, les schémas mentaux relatifs au thème de cette conférence évoluent de manière similaire et simultanément dans chacun de vos cerveaux, jusqu’à progressivement devenir identique.

Un orateur peut donc avoir un grand pouvoir sur nous, car s’il parvient à exploiter correctement notre physiologie, il est capable d’influencer notre comportement aussi bien en tant qu’individu que groupe.

Le 3 août 2008, SpaceX échoue à mettre en orbite son lanceur Falcon 1 pour la troisième fois consécutive, et les employés de la société sont totalement découragés, car ils savait que l’avenir de l’entreprise était fortement compromis en cas d’échec.

Elon Musk, son PDG, prend alors la parole et leur rappelle le chemin qu’ils ont parcouru ensemble et combien il est exceptionnel, leur dit qu’il a fait en sorte de pouvoir financer au mois deux nouvelles tentatives et qu’il est convaincu que s’ils poursuivent conjointement leurs efforts, ils réussiront.

D’après Dolly Singh, la responsable du recrutement à l’époque, chacun des employés de SpaceX était prêt à suivre Elon Musk en enfer à la fin de son discours.

Et aujourd’hui, SpaceX est capable de mettre 5 tonnes en orbite géostationnaire, de ravitailler la station spatiale internationale et de faire atterrir correctement le premier étage de ses lanceurs.

Certes, ce résultat n’a certainement pas été obtenu uniquement grâce aux paroles d’Elon Musk et les compétences de ses collaborateurs y sont très certainement pour beaucoup, mais s’il ne l’avait pas fait, son équipe n’aurait peut-être pas été assez motivée pour poursuivre l’aventure, et SpaceX aurait disparu.

Si vous êtes un orateur adroit, vous pouvez donc amener votre auditoire à se sublimer ou à dépasser ses limites, mais la technologie actuelle et plus particulièrement Internet vous permet d’avoir un impact bien plus important.

Hier, vous pouviez espérer avoir dans le meilleur des cas un impact local et quelques retombées supplémentaires grâce à la magie du bouche à oreille.

mais aujourd’hui, grâce à Internet, votre impact peut être global et toucher quasiment la totalité de l’Humanité, car tout le monde y est connecté.

En juin 2005, Steve Jobs a prononcé un discours inspirant à plus d’un titre devant les étudiants de l’université de Stanford lors de leur remise de diplôme.

Grâce à Internet, en 10 ans, ses paroles ont été écoutées plus de vingt-cinq millions de fois sur YouTube, et je n’ai pas tenu compte des versions sous-titrées, traduites dans d’autres langues ou disponibles sur des plateformes concurrentes.

De plus, la technologie vous fournit des outils vous permettant d’augmenter votre impact, puisqu’elle vous pouvez utiliser l’image, le son, la vidéo, ainsi que des jeux de lumière et de l’amplification sonore pour enrichir votre parole et votre gestuelle et ainsi leur donner plus de puissance.

Comme l’a dit Confucius, une image vaut mille mots…

En résumé, si vous voulez transmettre votre connaissance et votre expérience pour permettre la résolution d’un problème, faire évoluer une situation ou les mentalités, ou bien faire passer un message, devenir conférencier est certainement aujourd’hui le moyen le plus efficace pour le faire.

Vous serez alors un superhéros, car vous disposerez d’un grand pouvoir, mais comme l’a dit son oncle à Spiderman, un grand pouvoir implique une grande responsabilité.

Quand on vous annonce que vous allez devoir parler en public…

Et malheureusement, nous ne sommes absolument pas préparés à utiliser ce pouvoir, et nous refusons donc généralement d’en assumer la responsabilité.

L’école ne nous forme pas à parler devant d’autres, elle se contente de nous obliger à le faire sur des sujets imposés et dans un format précis afin de nous sanctionner et ainsi lui permettre de décider si nous pouvons poursuivre notre cursus.

Prendre publiquement la parole à l’école est donc désagréable, car cela génère un stress important, et nous évitons en conséquence d’avoir à le faire à nouveau si nous n’y sommes pas contraints.

Pourtant, en tant que conférencier, votre expérience n’aura pas grand-chose à voir avec ce que vous aurez pu vivre durant votre scolarité.

Tout d’abord, contrairement à l’élève que vous avez été, vous aurez le choix du sujet et du format que vous allez utiliser pour le présenter.

Et entre les « lightning talk » de 5 minutes, les conférences plénières qui ont une durée variant entre 30 et 45 minutes, et les ateliers qui s’étalent sur une demie-journée, le choix est vaste.

De plus, vous avez à votre disposition un grand nombre de ressources susceptibles de vous aider à préparer votre prestation.

Internet regorge en effet d’articles, de didacticiels, de billets de blog et de listes de trucs et astuces qui vous guideront lors de vos premiers pas et vous permettront d’améliorer le fond et la forme de votre discours au fil du temps, tandis que les conférences filmées et les supports de présentation qu’il contient seront une source d’inspiration inépuisable.

Le réseau peut de plus vous fournir un feedback à très forte valeur ajoutée, puisqu’il met à votre disposition des sites qui vous permettront de répéter votre conférence en ligne devant un panel d’utilisateurs sélectionné, et vous pourrez donc grâce à cela affiner vos tournures de phrases et optimiser vos supports.

Par ailleurs, vous pourrez vous appuyer sur un grand nombre de livres expliquant comment prendre efficacement la parole en public et construire un support de présentation pertinent.

Les autobiographies de conférenciers professionnels seront aussi une source d’inspiration et de réflexion intéressante, car leur lecture vous permettra de comprendre que vous avez droit à l’erreur et qu’il existe des solutions pour se sortir des situations imprévues et des problèmes.

Vous pourrez également participer aux ateliers que les organisateurs d’événement mettent parfois en place pour aider les conférenciers à se préparer, et vous pourrez de plus toujours compter sur vos pairs pour vous conseiller.

L’antenne lyonnaise de l’AFUP est d’ailleurs en train de mettre en place un tel atelier, avec la participation de Pascal Martin et Mathieu Napoli qui joueront le rôle de mentor.

Autre différence avec l’exercice scolaire, vous ne serez pas sanctionné à l’issue de votre présentation.

Par contre, vous aurez du feedback qui peut éventuellement être négatif et qui doit être relativisé pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les insatisfaits sont beaucoup plus enclins à exprimer leur mécontentement que ceux satisfaits de votre prestation.

De plus, vous ne pouvez pas répondre correctement aux désirs de tous ceux qui sont venus vous écouter, car chaque personne arrive avec des attentes qui lui sont propres.

Dans l’immense majorité des cas, des retours négatifs devront donc être seulement une source de motivation pour vous améliorer et aller encore plus loin dans votre démarche.

De plus, ils n’auront aucun impact sur votre carrière.

Enfin, contrairement à l’élève que vous avez pu être, vous pourrez prendre du plaisir à être conférencier, notamment lorsque vous parviendrez à construire une connexion forte avec l’auditoire, à faire passer vos messages, et à établir des relations par-delà votre discours.

Se rendre compte, parfois des années plus tard, que votre message a été entendu, compris, accepté, et que de plus il a eu des conséquences heureuses pour ceux qui l’ont reçu est en effet une grande source de joie.

De plus, il n’est en effet pas rare que la traditionnelle session de questions se poursuive bien longtemps en dehors de la salle, et parfois, des amitiés se créent à la suite de ces échanges qui sont de toute façon très enrichissants pour tout le monde.

Tout cela étant dit, une conférence présente tout de même des points communs avec les exposés ou les soutenances que vous avez pu réaliser durant votre scolarité.

Tout d’abord, c’est le fruit d’un travail important.

Vous devrez en effet construire sa trame et trouver la meilleure façon de l’illustrer, et il n’y a malheureusement pas de recette magique pour faire cela, car en fonction du conférencier, du public attendu, du thème abordé et du format choisi, la préparation peut être réalisée de plusieurs manières très différentes.

Et de plus, une fois que vous aurez effectué votre prestation, vous devrez assurer le service après-vente en mettant à la disposition du public votre support de présentation, éventuellement augmenté d’informations qui le rendront compréhensible par ceux qui n’étaient pas présents dans l’auditoire.

L’autre point commun des conférences avec les prises de parole que vous avez pu faire dans le contexte scolaire est le stress qu’elles génèrent.

L’Homme est fondamentalement et naturellement un animal grégaire qui ne se sent à l’aise et en sécurité que dans un groupe.

Devoir en sortir pour s’exposer individuellement est donc une source importante de stress pour lui.

Or, parler en public revient très exactement à se sortir du groupe à et à s’exposer devant lui en tant qu’individu.

C’est une démarche qui n’est donc pas dans notre nature profonde, et même avec l’habitude, cela reste un effort important, d’autant qu’à cela s’ajoute le fait qu’être conférencier est une grande responsabilité, et pas uniquement à cause du pouvoir que cette fonction implique.

Chaque personne qui assiste à l’une de vos prestations vous donnera de son temps, et ce temps est précieux, car le temps perdu ne peut être récupéré.

En tant que conférencier, vous aurez donc l’obligation de ne pas gâcher le temps de votre auditoire, et en prendre conscience fera de vous une cible parfaite pour le syndrome de l’imposteur, car à partir de ce moment, vous allez régulièrement vous interroger sur votre légitimité.

Heureusement, la solution à ce problème est très simple.

Il vous suffira de vous rappeler que vous êtes unique et que de plus, votre conférence a fait l’objet d’une sélection très rigoureuse par l’organisateur de l’événement qui vous accueille, qui s’est assuré entre autres choses que votre profil et votre parcours vous permettront de donner une prestation répondant à ses critères de qualité.

Et si cela ne suffit pas, les gens qui connaissent votre valeur à la fois humaine et technique sont également des armes excellentes pour contrer le syndrome de l’imposteur.

Entre le syndrome de l’imposteur, le fait que parler en public n’est pas dans notre nature et les responsabilités que cela implique, il est donc normal que vous ressentiez du stress avant et pendant votre conférence, mais c’est un problème pour lequel il existe des solutions.

Choisir un sujet avec lequel vous êtes à l’aise et sur lequel vous disposez d’une expérience significative et le confronter à l’avis de vos amis et collègues vous permettra d’acquérir l’assurance que vous êtes pertinent pour en parler et qu’il est effectivement intéressant.

Une bonne préparation vous permettrons d’avoir la certitude que vous ne ferez pas perdre son temps à votre auditoire et que vous êtes en mesure de transmettre correctement votre message

tandis que quelques techniques de relaxation vous permettront d’entrer sur scène relativement détendue

même si elles ne vous empêcheront peut-être pas de ressentir un besoin pressant quelques minutes avant.

De plus, lorsque vous serez sous les feux de la rampe, même si vous pourrez vous sentir seul, vulnérable, et donc à la merci de votre public, vous serez en réalité Dieu Tout Puissant.

Vous pourrez en effet agir sur l’environnement, à l’aide de la sonorisation et des projecteurs, et vous pourrez vous déplacer et prendre à partie votre auditoire sans aucun problème, en lui posant des questions ou en lui demandant de faire des choses particulières, car il est généralement bienveillant puisqu’il est venu vous voir pour recevoir un don de votre part.

Votre public viendra en effet vous voir parce qu’il pense que vous avez quelque chose à lui apporter, parce que la description de votre conférence lui a donné envie de faire le déplacement et de vous consacrer du temps, et non pour vous lancer des tomates en pleine figure.

Donc, si vous donner dans le sens le plus absolu du terme, en toute honnêteté, en respectant votre engagement et votre public, tout se passera très bien.

Être conférencier est donc une expérience à forte valeur ajoutée, autant pour vous que pour les autres, et si vous voulez avoir une influence, même minime, sur le monde, c’est le moyen le plus efficace pour y parvenir.

Et même s’il n’est pas forcément facile de monter sur scène, cela en vaut vraiment la peine, alors… Quand allez-vous allumer le feu pour que des gens se regroupent et vous écoutent ?

En mai 2017 lors du PHP Tour ? Ou bien lors de Devoxx en avril ?

Je profite de l'occasion pour remercier Perick Penet-Avez, pour m'avoir imposé ma première conférence, ainsi que l'AFUP pour m'avoir permis de diffuser mes idées ces dix dernières années.

En bonus, voici quelques informations supplémentaires.

J’utilise Mind Node, Bear, Keynote et Flickr pour la conception de mes conférences.

Je commence par modéliser ma conférence à l’aide de Mind Node, je rédige ensuite son histoire avec Bear, puis je construis mon support dans Keynote en recherchant les images dont j’ai besoin sur Flickr.

Cependant, ayez bien à l’esprit que les outils ne font pas la conférence, que cette façon de faire est le fruit de plusieurs itérations sur presque 10 ans et qu’il ne vous sera pas forcément adapté.

Concernant ma stratégie pour répondre au « Call For Paper », j’essaye de proposer plusieurs conférences et je ne les prépare que lorsque j’ai été sélectionné afin d’optimiser mon temps. La préparation d’une conférence telle que celle-ci me demande en effet une dizaine de jours à temps plein (j’ai lu un jour qu’une minute de conférence nécessite 3 heures de préparation).

Par ailleurs, je propose rarement des conférences en rapport avec le thème de l’événement, car je cherche avant tout à diffuser des idées originales, mais encore une fois, c’est un choix personnel.